Modèle de Reason : explication et application dans la gestion des risques
Des défaillances humaines peuvent persister dans des systèmes pourtant conçus pour éviter les erreurs. Certaines barrières de sécurité, bien qu’en place, laissent passer des failles inattendues. Les accidents majeurs ne résultent presque jamais d’une unique erreur isolée, mais d’une accumulation de facteurs souvent sous-estimés.
L’absence de prise en compte des interactions complexes entre individus, technologies et organisations expose à des vulnérabilités insidieuses. L’analyse des incidents révèle que la prévention efficace exige une compréhension fine des mécanismes qui permettent aux erreurs de franchir plusieurs lignes de défense.
Plan de l'article
Comprendre le modèle de Reason : origines et enjeux dans la gestion des risques
Aborder la gestion des risques sans mentionner le modèle de Reason, ou modèle du fromage suisse, reviendrait à ignorer un tournant majeur dans la prévention des accidents industriels. Imaginé par le professeur James Reason dans les années 1990, ce concept s’est imposé comme une référence incontournable. Sa publication dans le British Medical Journal a propulsé la prise en compte des facteurs humains au cœur des réflexions organisationnelles.
Ce modèle se distingue par une idée simple et puissante : il sépare les erreurs actives, celles qui sautent aux yeux, commises en situation réelle, des erreurs latentes, invisibles dans le quotidien, enfouies dans la culture d’entreprise, les processus ou la formation. Un manuel mal rédigé, une routine jamais remise en question, ou une faille technique insoupçonnée ouvrent la voie à ces brèches qui percent lentement les défenses, à la manière des fameux trous du fromage suisse.
Cette vision a bouleversé la gestion de la sécurité et la gestion des risques. Elle invite à élargir l’analyse : plutôt que de désigner un responsable, il s’agit de scruter les rouages de l’organisation, la pertinence des procédures, le climat de travail. L’incident n’est plus vu comme une anomalie isolée, mais comme le symptôme d’un enchaînement de vulnérabilités.
Dans son sillage, la notion de culture de la sécurité gagne du terrain. Industrie, santé, transports : partout, les structures s’interrogent sur leurs propres fragilités, traquent les signaux faibles et cherchent à comprendre comment les erreurs humaines selon Reason s’inscrivent dans la dynamique collective. Résultat : audits, formations, analyses d’incidents s’enrichissent d’une approche systémique, qui déborde largement les secteurs dits « sensibles ».
Quels mécanismes expliquent la survenue d’accidents selon le modèle du fromage suisse ?
Dans le modèle du fromage suisse, chaque barrière de défense agit comme une couche protectrice censée bloquer la survenue d’un accident. Pourtant, aucune barrière n’est parfaite : qu’elles soient techniques, humaines ou organisationnelles, toutes possèdent leurs propres failles. Ces trous, qui varient en taille et en emplacement, proviennent d’erreurs humaines ou de dysfonctionnements structurels. L’analyse de Reason montre qu’un accident ne se réduit jamais à une seule cause.
Deux dynamiques se croisent systématiquement :
- Les erreurs actives : un geste mal réalisé, un choix inadapté, une décision prise dans la précipitation. Leur effet est immédiat, leur origine facile à pointer.
- Les erreurs latentes : défaut de formation, procédures incomplètes, entretien négligé. Invisibles sur le moment, elles attendent la conjonction de circonstances malheureuses pour se révéler.
Le tableau suivant synthétise ces deux types de failles et leurs conséquences concrètes :
Type de faille | Exemple | Conséquence |
---|---|---|
Erreur active | Oubli d’activation d’une alarme | Non-détection d’un incident |
Erreur latente | Mauvaise consigne dans un manuel | Risque de mauvaise manipulation récurrente |
C’est au moment où plusieurs failles s’alignent à travers les barrières de défense que l’accident survient. Le fromage suisse des failles additionne les causes, sans s’arrêter à celle qui se trouve sous les projecteurs. Cette approche systémique irrigue la réflexion sur la sécurité et oriente les méthodes comme l’arbre des causes : on ne s’arrête plus à la dernière erreur, on remonte patiemment la chaîne de décision et d’organisation.
Renforcer la sécurité : bonnes pratiques et enseignements tirés du modèle de Reason
La gestion des risques ne se limite plus à cocher des cases ou à empiler les procédures. Le modèle de Reason impose une lecture transversale et rigoureuse. Pour chaque organisation, repérer les erreurs latentes disséminées dans le quotidien devient aussi stratégique que de réagir aux erreurs actives. La sécurité ne dépend ni de l’exploit individuel, ni de la chance, mais bien de la solidité collective des défenses mises en place.
S’installer dans une culture de la sécurité, c’est accepter de regarder les incidents en face. Parler ouvertement des défaillances, décortiquer les causes profondes, éviter de s’arrêter à la recherche du « dernier responsable » : tous ces réflexes nourrissent la démarche initiée par James Reason. Il s’agit de bâtir un plan d’actions correctives fondé sur l’observation du terrain, l’audit et la maintenance régulière. Chaque retour d’expérience se transforme ainsi en point d’appui pour progresser.
Voici quelques pratiques concrètes à intégrer pour renforcer la prévention au quotidien :
- Programmez des audits fréquents, aussi bien sur les procédures que sur les équipements.
- Pesez l’équilibre entre sécurité et performance, sans jamais sacrifier la vigilance.
- Faites circuler une information claire et factuelle, afin que chaque acteur comprenne l’enjeu collectif.
La pandémie de COVID-19 en a donné une illustration éclatante : distanciation, port du masque, vaccination, toutes ces mesures n’ont d’effet que si chaque barrière fonctionne sans faille. Le fromage suisse rend tangible l’intérêt d’une action coordonnée, où la superposition des protections compense les faiblesses ponctuelles. Construire la sécurité, c’est accepter l’idée d’un chantier permanent, fait d’ajustements, d’analyses fines et d’une communication sans détour.
Au bout du compte, le modèle de Reason rappelle que derrière chaque incident se cache une histoire collective. À chaque organisation d’écrire la sienne, en ne laissant aucun trou s’élargir sous le tapis.